ABC Compétences

6 décembre 2011

Diplôme et identité professionnelle : l'exception française

Je lis parfois Challenges, un hebdomadaire économique ni trop austère, ni trop simpliste à mon goût. Dans un numéro récent consacré à Steve Jobs (actualité oblige), je suis tombé sur la rubrique Le Carnet, florilège des nominations les plus importantes de la semaine.

On y apprend par exemple que Philippe C., 53 ans, Essec, devient Senior Executive Expert pour le Boston Consulting Group. Ou que Véronique D., 46 ans, diplômée de Paris-Dauphine et de la Société française des analystes financiers, devient Directrice des affaires publiques de Renault.



Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais ce genre d'information me laisse sur ma faim. Ainsi, les seules informations jugées pertinentes sont le diplôme initial, et le nouveau poste de cette personne ? Entre ces deux points, espacés de 2 ou 3 décennies, l'esprit en est réduit à tracer une droite imaginaire, faute d'un quelconque éclairage sur le parcours de l'individu nouvellement nominé... Sur l'ensemble de la carrière et les postes précédents, c'est le silence radio. La palme de l'absurde revient sans conteste à l'annonce de la nomination de Pierre S., Docteur en Droit et IEP Lyon, devenu Senior Advisor au sein d'Acxior Corporate Finance : ce doublement diplômé affiche tout de même... 76 ans au compteur. On le définit donc par des diplômes décrochés au bas mot 40 ans plus tôt !

S'agirait-il là d'une exception française ? D'une exception qui fait que l'on inscrit parfois son diplôme sur sa carte de visite, qu'on le mentionne souvent en tête de son CV, que c'est la seule information jugée utile d'être mentionnée (avec l'âge !) à l'occasion d'une nomination ? Et que c'est bien souvent, malheureusement, ce qui déterminera le poste le plus élevé auquel on pourra prétendre au sein d'une grande entreprise. Comme si, à l'instar de la noblesse de jadis, à certains titres correspondaient certaines fonctions.

Le campus d'HEC
Si l'on veut bien se donner la peine d'y réfléchir quelques instants, ce sont ainsi 2 ans de la vie d'un homme (ou d'une femme) qui peuvent déterminer le reste de sa carrière. En effet, les diplômes décernées par nos Grandes Écoles sont quasiment les seuls à bénéficier d'une réelle aura (à l'intérieur de l'hexagone), les diplômes universitaires étant bien souvent jugés inférieurs. Or, pour décrocher ce précieux "bac + 5", le seul point de passage réellement difficile à négocier est le concours d'entrée, dont le résultat dépend essentiellement du travail fourni pendant les 2 ans de classes préparatoires (parfois trois, si l'on redouble la seconde année), juste après le bac. Une fois l'école "intégrée", un travail régulier (mais pas surhumain), suffit pour traverser sans encombre les 3 années d'école. Une fois le diplôme en poche, la route est toute tracée.

Tout se passe donc comme si, en France, l'identité professionnelle était presque entièrement déterminée par le diplôme décroché vers 22 ou 23 ans. Ce qui n'empêche pas nos amis les recruteurs de froncer le sourcil si, malgré un prestigieux diplôme, votre trajectoire professionnelle s'est écartée de la route rectiligne qu'ils affectionnent tant, pour s'égarer dans des chemins de traverse et faire de vous, comble d'infamie, un parcours atypique.

Lionel Ancelet



2 commentaires:

  1. Eh oui, c'est une histoire qui domine toujours le paysage français. Nous entendons, dans notre travail avec les femmes, cette pression de devoir justifier d'une bonne école, même après 20 ans d'expérience professionnelle réussie. Sans le bon diplôme, elles n'appartiendront pas au club de ceux qui ont fait une école prestigieuse. Heureusement, les choses commencent à changer par ci et par là. Merci pour cet article

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  2. Et oui la france n'a jamais quitté l'ancien régime. Que l'on ne se méprenne pas, la mise en place de la VAE sacralise définitivement le titre comme unique sésame légitime à prouver vos compétences. Ceci veut dire qu'il est impossible en France de vendre ses compétences à leur justes valeurs si l'on n'a pas le titre qui va avec. Ainsi la flexibilité et l'adaptation dont on nous rebat les oreilles n'a pour seule conséquences de dévaloriser l'expérience professionnelle. J'en sais quelque chose après un doctorat effectué mais non soutenu, 12 ans de consulting en informatique, un niveau master 1 an psychologie du travail, le marché du travail m'explique que je vaux le SMIC. Etant donné que j'ai exercé 12 ans un métier pour lequel je n'avais pas le bon titre, dans 5 ans la VAE me sera impossible et il se trouvera quelqu'un pour me dire que ces 12 années ne valent rien puisque je n'ai pas le titre "ingénieur". La France a besoin d'une révolution une vraie et bien aboutie cette fois !!

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