ABC Compétences

9 mars 2015

Culture d'entreprise : faut-il expliciter l'implicite ?

CC - Ol.v!er
Comme tout groupe humain, une entreprise développe au fil du temps des codes internes : faut-il porter ou non la cravate, s’appeler par son prénom ou par son nom, se tutoyer, répondre à ses emails le week-end ? Cet ensemble de règles implicites constitue la culture d’entreprise. Si certains comportements sont formalisés par le règlement interne (par exemple, les codes vestimentaires des personnels en contact avec la clientèle), la plupart restent des non-dits. Faut-il envisager de mettre noir sur blanc cet ensemble de règles et, ainsi, de formaliser la culture d’entreprise ?

Avant de tenter de répondre à la question, attardons-nous sur cette notion de culture. Pour Geert Hofstede, psychologue spécialiste de l’interculturel, la culture est une programmation collective de l’esprit. En effet, contrairement à la personnalité, ensemble de caractéristiques individuelles en partie innées, la culture est commune à un groupe d’individus, et elle est acquise : l’enfant apprend de ses parents et de ses maîtres d’école, le salarié de ses collègues, le croyant de ses coreligionnaires. Pour Clifford Geertz, anthropologue, la culture nous sert à interpréter les expériences de notre vie (ce qui nous arrive), et à guider nos actions (donc, nos décisions).

Plus généralement, la culture est constituée d’un ensemble de valeurs, de croyances, d’une vision du monde et de la vie, et se manifeste par des comportements et des artefacts. On ne s’habille pas de la même façon dans une agence de publicité et dans une banque privée. Les maisons et les jardins n’ont pas le même aspect dans une banlieue française ou hollandaise. La culture est l’ensemble des particularités communes à un groupe, qui fondent sa cohésion, et le différencient des autres groupes.

CC - Steve Cadman
Se pose alors la question : d’où vient la culture ? Qui la définit ? Car, si l’on hérite l’essentiel de notre culture de nos modèles (parents, professeurs, collègues, héros contemporains ou historiques…), l’on en reste pas moins libre de remettre en cause certains des codes culturels, qui évoluent, volens nolens, au fil du temps : la Génération Y ne partage plus exactement les mêmes croyances et les mêmes valeurs que la Génération X ou les Baby Boomers. Le débat lancé il y a quelques années sur ce qui constitue l’identité (et donc la culture) française l’a montré avec acuité : s’agit-il d’un idéal à préserver, ou d’un idéal à atteindre ?

Faut-il donc formaliser la culture d’entreprise en rendant explicite ce qui était implicite ? Et sous quelle forme ? Compte-tenu de ce qui précède, cela semble largement inutile, voire nuisible. Inutile, car les nouveaux salariés savent spontanément adopter les comportements dont ils sont témoins chez leurs collègues, à l’instar de cet ingénieur récemment recruté chez un équipementier automobile, qui avait rapidement abandonné la cravate peu après son arrivée. A l’instar aussi d’un Manuel Valls qui a progressivement adopté (peut-être inconsciemment !) l’élocution de son Président depuis son accession au pouvoir exécutif, tant il est vrai que la meute imite le mâle alpha

Nuisible, aussi, car c’est alors courir le risque de figer pour longtemps des comportements qui sont peut-être pertinents à un moment donné de l’histoire d’une organisation, mais qui pourraient fort bien cesser de l’être un jour. A l’image de la parabole des singes et de la banane, il arrive que l’on se comporte d’une certaine manière « parce qu’on a toujours fait comme ça »… tout en ayant oublié pourquoi ! Face aux turbulences de l’environnement socio-économique, grande est la tentation de diminuer l’incertitude en laissant de moins en moins de place au hasard (croit-on), et d’arriver ainsi à une forme d’hyperstatisme nuisible à plus ou moins long terme, à cause d’une culture d’entreprise fossilisée, sans agilité.

CC - Shemsu Hor
Devons-nous pour autant « subir » les codes de l’organisation sans les questionner ? Pas nécessairement. En effet, mener une réflexion – en y associant les salariés – de manière à identifier non seulement les comportements quotidiens (port ou non de la cravate, tutoiement, horaires d’arrivée et de départ…) mais aussi et surtout les croyances et les valeurs associées (je suis un bon petit soldat parce que je reste tard le soir…) permet à l’organisation de développer une salutaire réflexivité sur elle-même, et d’identifier les valeurs qui animent ses hommes et ses femmes. Non pas des valeurs un peu creuses, plaquées d’en haut et placardées en lettres d’or sur les murs du hall d’accueil de l’entreprise, mais des valeurs définies, portées et partagées par les salariés eux-mêmes.

Auteur : Lionel Ancelet, consultant-formateur.
Photos: flickr.com (licence Creative Commons)


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